PRESS RELEASE

De l’itinérance

Est-ce lié à mon attirance originelle pour la littérature et le cinéma ? Est-ce lié à ma découverte de la photographie d’abord comme chose imprimée dans des livres dits de photographie (Frank, Resnais, Tony Ray-Jones, Strand, Walker Evans, Bill Brandt, Koudelka, Friedlander…), avant de m’intéresser à la photographie comme œuvre accrochée sur un mur au même titre qu’un tableau ?

Est-ce parce que le désir de l’en-allée m’est profondément chevillé à l’âme et au corps —non pas sous le couvert du baroudeur, de l’aventurier, du globe-trotter ou du reporter en mission, mais tel le voyageur silencieux qui cherche simplement à rejoindre le monde ? Sans doute un peu de tout cela, et d’autres choses encore dont l’intrication me reste mystérieuse, pour expliquer ma propension non seulement à faire des livres, mais à imaginer mes différents projets, les uns après les autres, avant tout comme des ensembles destinés à l’édition, et donc réfléchis et développés en ce sens. Au point même qu’il m’est arrivé, à l’aube d’un travail, d’avoir déjà en tête la maquette d’un livre dont les images n’étaient pas faites.

En quelque sorte, mes livres sont moins le catalogue d’une exposition que la matrice de celle-ci. J’ai conçu pendant longtemps l’exposition comme un simple “éclaté“ du livre, ou comme la proposition d’un livre à venir ou espéré —tout en accordant de l’importance à la qualité des tirages en noir et blanc puis en couleur—, avant d’y réfléchir comme un objet en soi faisant pleinement partie de mon propos artistique. Aujourd’hui, je tends à dissocier de plus en plus l’objet livre de l’objet exposition : le livre ne peut être le simple catalogue d’une exposition, ni celle-ci réduite à une sorte de best-off du livre.

La plupart de mes projets s’articulent autour d’une problématique du déplacement, qu’il s’agisse de mettre en œuvre différentes formes d’exploration d’un territoire ou, plus souvent encore, de suivre le fil d’un itinéraire dont l’argument ou la raison relève de considérations diverses. Dès 1984, avec le projet intitulé Frontières, j’ai établi une méthode et un principe de travail auxquels je me suis à peu près tenu depuis lors : à savoir, respecter le plus possible dans l’élaboration du travail, mais surtout dans sa restitution, un principe de continuité géographique et chronologique, privilégiant ainsi la progression, la confrontation des images, leur tension dialectique, et privilégiant de fait le récit à la série.

Le récit étant entendu non pas comme une “histoire“ —si ce n’est celle de mon rapport au monde—, mais comme le développement d’arguments conceptuels et de problématiques esthétiques à travers la récurrence d’un certain nombre de thèmes que la traversée du paysage ou les rencontres diverses viennent nourrir.

Il m’est apparu que si mon travail était en partie connu et reconnu par la régularité de ma production éditoriale, la spécificité de celle-ci et son étendue —notamment tous les livres en noir et blanc qui précèdent La Route du Tôkaidô— étaient loin d’être comprises et sues de tous. D’où la proposition de cette exposition qui permet de retracer la cohérence d’un parcours éditorial et photographique par-delà la diversité des expériences et l’évolution des choix esthétiques. Cette sélection d’une dizaine de livres (sur une vingtaine qui couvrent environ 25 années de travail de 1982 à 2008) est associée à l’exposition de tirages vintage,présentés pour la plupart d’entre eux dans leur format et leur encadrement d’origine.

Thierry Girard

Octobre 2009