PRESS RELEASE
Lorsqu’il apparaît, l’homme n’est qu’une simple composante qui, en tant que figure, livre l’échelle des espa- ces. Surtout, il ne paraît pas peupler ces paysages comme s’il n’était que de passage, comme si ces archi- tectures et ces paysages étaient de simples décors thé‚traux permettant quelques activités. Rien n’atteste de son inscription dans ces territoires. L’horizon l’écrase, les structures architecturales aussi. Aucune com- munauté n’habite ici et les photographies attestent juste d’un rassemblement aléatoire d’humains. Le sujet de ces images serait donc la normalisation de l’aménagement urbain, cette normalisation qui impose des cadres de vie et édicte des règles de copropriété. Pas si simple! L’amplitude des sujets contredit en partie cette vision très critique. Ici, un paysage bucolique si ce n’était ce canal rectiligne démontrant l’artificialité de cette nature. Là, une vaste prairie avec quelques chevaux. Derrière, délimitant l’horizon, un ensembles d’ar- chitectures récentes à l’allure résolument moderniste. Parfois, le plan est serré, cadrant un immeuble, un coin de rue, un bout de jardin ou quelques voitures à l’arrêt. Pourtant, malgré la variété des plans, l’échelle générale reste la même. On sait depuis Friedlander et Winogrand que ce n’est pas la distance entre l’opéra- teur et son sujet qui donne l’échelle mais bien le rapport à l’être humain. André Mérian fonctionne en ethno- logue, en explorateur amusé, en fl‚neur baudelairien repérant la déroute d’une idée de la modernité. Il ne s’agit pas pour lui de jouer sur une monumentalisation du motif, lui donnant ainsi un aspect quasi virtuel. Au contraire, dans ces images, ce qui semble excéder le réel rep ose à la fois sur cette absolue banalité des amé- nagements du territoire mais aussi et surtout sur l’éviction de toute idée de nature. Ici, elle devient cadre faus- sement champêtre des activités humaines. Rien n’est laissé au hasard et c’est justement dans cette rupture entre l’homme et un ailleurs qui le dépasse que se situe tout l’enjeux de cette série. En cela, elle documente effectivement un moment de l’histoire occidental (particulièrement exemplaire dans les pays du nord de l’Europe) moment ou l’économie a définitivement remplacé le politique et ou tout imaginaire est nié au profit d’un idéal de consommation. Moment aussi ou la ville n’est plus, ou les centres ont disparu, remplacés par des zones incertaines composées d’habitations, de voies rapides et de centres commerciaux. Le territoire a perdu toute structure rassurante, structurante. La puissance des images d’André Mérian est de montrer que ce basculement trouve des applications concrètes, visibles dans ce qui fut autrefois le paysage. Et l’on sait que lorsque le paysage disparaît c’est une idée du pays qui aussi fait défaut. La démocratie, son idéal aujourd’hui mis à mal, est peut-être affaire d’espace. C’est ce que sous-tend cet ensemble d’images.
Damien Sausset