La couleur a toute epreuve

7 Novembre - 23 Décembre 2015

Presentation

Il est difficile d'imaginer aujourd'hui, à l'heure du numérique, le nombre de photographes qui le sont devenus, grâce à la découverte du travail d'Ernst Haas. Ses ouvrages et sa rétrospective en couleur au MoMA en 1962 ont influencé toute une génération. Ses expériences sur la couleur, sur le mouvement soulevaient l'enthousiasme? On l'a oublié, mais les films couleur étaient difficiles à manier. Nous sommes en 1952, à des années lumière, quand le magazine américain, Life, lui demande de travailler en couleur sur New York. A l'exception de Capa, chez Magnum, personne ne comprend pourquoi il expérimente la couleur. Seul le noir et blanc a droit de cité. Mais Ernst Haas n'en a cure. Pour mieux comprendre cette aventure très singulière, il faut la replacer dans son contexte historique. Haas, né en 1921, de famille juive a vécu le trauma de la seconde guerre mondiale. Puis, il émigre aux États-Unis en 1951 dans un pays, dont il rêvait, gamin. Un homme optimiste, sans aucune stratégie professionnelle, n'ayant jamais rien demandé à personne. Un homme libre.

Dossier de presse

Communiqué de Presse

Ernst Haas fut indéniablement le photographe le plus connu, le plus prolifique et le plus publié du XXe siècle. Son nom est en général associé à cette photographie couleur pleine de vitalité qui, à partir des années 1950, faisait fureur dans la presse illustrée. Ce travail, publié par des dizaines de grands magazines en Europe et aux États-Unis, a également fait l?objet de très nombreux ouvrages qui, eux aussi, ont connu un franc succès auprès du public.

Pourtant, si son travail sur la couleur lui a valu une renommée internationale, et ce sur plusieurs décennies, il a été dénigré par des critiques et des curateurs, précisément sur les aspects de son travail qui avaient fait de lui un artiste très prisé par les magazines ? son caractère immédiat, facile d?accès. En gros, on lui reproche d?être « trop commercial », un véritable crime dans un monde où l?on devait (et où l?on doit toujours) s?efforcer de protéger l?art, forme prétendument fragile, de toute contamination par la grossièreté de la mouvance commerciale. On a également reproché à son travail un côté trop simpliste, dépourvu des complexités et de l?ironie qui caractérisaient l??uvre de ses concurrents, plus jeunes, qui travaillaient de leur côté à la construction d?un nouveau langage de la couleur. La réputation de Haas a donc souffert de la comparaison avec les grands noms de ce qu?on appellerait bientôt « the New Color », avec notamment William Eggleston, Joel Sternfeld, Stephen Shore, et Joel Meyerowitz.

Mais paradoxalement, il y a un revers à l??uvre de Haas, un aspect qui a échappé à la critique posthume. Un aspect qui prouve qu?il n?était en rien inférieur à ses jeunes collègues en termes d?innovation. En effet, parallèlement à ses ?uvres de commande, Haas prenait constamment des photos pour son plaisir et, autant que je sache, sans véritable intention de les montrer à quiconque. Ces images révèlent un tout autre aspect de sa sensibilité ? elles sont plus audacieuses, plus libres, plus énigmatiques et plus équivoques que celles qui l?ont rendu célèbre. La plupart n?ont jamais été tirées, ni publiées bien entendu, leur auteur les jugeant sans doute trop difficiles à comprendre. Ces images, d?une grande complexité, sont largement à la hauteur ? et parfois même bien au-delà ? des plus grands chefs-d??uvre de ses contemporains (?).

Ironie du sort, c?est grâce à John Szarkowski, le célèbre conservateur de musée qui, après avoir exposé l??uvre de Haas, avait décidé de ne pas le soutenir, que j?ai eu accès à l??uvre cachée d?Ernst Haas. À l?instar d?autres jeunes conservateurs de ma génération, j?avais également décrié son travail pour les raisons mentionnées ci-dessus, et pour ce qui était, d?après moi, un excès de sentimentalité. Pourtant, une de ses photographies m?a tarabusté pendant des années, résistant opiniâtrement à ma désapprobation. Il s?agissait d?une image que Szarkowski avait incluse dans une publication du Museum of Modern Art ? une scène de rue montrant un store et son reflet dans une vitrine, évoquant irrésistiblement un tableau de Morris Louis. Les couleurs du store ondulent comme des flammes, rappelant le vieil adage : « Il n?y a pas de fumée sans feu. » Il devait y avoir d?autres trésors comme celui-ci à découvrir ! Et plusieurs années plus tard, alors que je relisais les textes de Szarkowski sur la couleur, je tombai, pour mon plus grand plaisir, sur une autre métaphore extrêmement pertinente : « Dans les années 1960, » écrivait-il, « il n?y avait encore, parmi les plus grands photographes, qu?Eliot Porter et Ernst Haas qui, dans l?incendie de leur maison, auraient choisi de sauver en priorité leur ?uvre en couleur plutôt que le noir et blanc. » J?étais tourmenté par cette graine qui ne demandait qu?à germer.

Vers 2006, j?en ai discuté avec le conservateur Graham Howe, découvrant que lui aussi, soupçonnait quelque chose. Nous décidâmes de nous rendre à Londres pour explorer les archives d?Ernst Haas et en avoir le c?ur net. Dès notre première incursion, nous avions compris qu?il y avait effectivement une braise ardente qui ne demandait qu?un peu d?oxygène pour être ravivée (?).En deux ans, je parvins à voir 200 000 diapositives couleur ? en partie pour mon propre plaisir visuel, mais aussi pour m?assurer que je n?étais pas en train « d?inventer » cet Ernst Haas de l?ombre. Or je n?inventais rien, et les images présentées ici ne me contrediront pas.

William Ewing

Conservateur et auteur d?ouvrages

Introduction de l?ouvrage Ernst Haas Color Correction, publié aux éditions Steidl en 2011