L'épure photographique

27 Octobre - 22 Décembre 2018

Presentation

Vernissage le samedi 27 octobre de 14h à 19h

L’œuvre d’Aaron Siskind (1903-1991) ne peut se réduire à un genre photographique. A côté d’une carrière exceptionnelle d’enseignant qui a marqué plusieurs générations de photographes, cette grande figure de l’histoire de la photographie américaine n’a cessé de surprendre. Entre une vision très documentaire avec la Photo League et une recherche beaucoup plus plastique liée aux peintres expressionnistes abstraits, sa pratique photographique a embrassé différents styles et bousculé bien des préjugés.

Nous sommes très heureux de pouvoir présenter à la galerie une quarantaine de photographies liées à ses expérimentations, à son attention aux choses minuscules, aux formes précaires, aux bribes de langage issues des vestiges du temps. Une trajectoire pour le moins unique avec une œuvre qui reste aujourd’hui encore, d’une très grande modernité.

Dossier de presse

Communiqué de Presse

Grâce à son talent et à son influence, à son art et à son enseignement, Aaron Siskind est une figure de la photographie américaine du XXe siècle. Sa production photographique, abondante, variée et profondément créative, est le fruit d'une carrière commencée au début des années 1930 et achevée à la mort du photographe en 1991. Elle est à l'origine d'une vision inédite, qui a finalement aboli toute frontière supposée entre la photographie et la peinture des années 1940 et 1950. Il fut souvent comparé à des peintres abstraits tels Willem de Kooning, Barnett Newman ou Franz Kline, dont il fut l'ami. Il s'avère en effet que ses photographies et leurs œuvres se sont considérablement influencées. Siskind ne se réfère que très peu au sujet, préférant s'attacher aux détails et aux fragments visuels, en explorant le mouvement et la forme. Aussi appartient-il indiscutablement à la famille des expressionnistes abstraits. (…)
Siskind naît le 4 décembre 1903 à New York dans une famille d'immigrants russes juifs. (…) Trouvant sa vie de famille peu passionnante, il passe une bonne partie de sa jeunesse à traîner dans les rues, réagissant à la stimulation sociale et intellectuelle qu'il y trouve. Si les mots sont son premier mode d'expression, son attachement à la beauté, à la découverte et à l'expression le définit dès le début comme artiste. Les idéaux socialistes de justice et d'égalité le séduisent, comme ceux que clament  les orateurs des rues depuis leurs tribunes improvisées sur Upper Broadway. À douze ans, il possède sa propre tribune et attire un public régulier. (…)
Lors de son premier mariage, il reçoit en cadeau un appareil photo. Il l'étrenne pendant son voyage de noces aux Bermudes et découvre le plaisir de la photographie. (…) En 1932, il achète un appareil plus perfectionné et adhère à la Film and Photo League de New York, l’un des plus influents des nombreux clubs photographiques américains.(…) Les habitudes de travail qu’il développe avec la photographie documentaire (être attentif au moindre détail et photographier d'un point de vue unique) ne le quitteront jamais. « Je suis resté très fidèle à ma formation documentaire », se souvient-il dans un entretien de 1963. Autrement dit, il a conservé « une foi inébranlable dans la chose elle-même ». Quelle que soit l'énergie métaphorique ou symbolique que dégagent ses images, les objets — rochers ou peinture écaillée par exemple — restent des éléments identifiables du monde réel. (…)
Durant l'été 1943, dans le village de pêcheurs de Gloucester, en Nouvelle-Angleterre, il a ce qu'il appelle « une expérience picturale », une révélation qui change à jamais la nature de son travail. Au lieu de travailler à partir d'un programme, comme il le faisait pour ses sujets documentaires, il se consacre à un projet dont il avait pressenti l'importance : laisser parler les objets, avec leur propre langage. (…) Afin de mettre en pratique cette nouvelle démarche, il commence à travailler sans la moindre idée préconçue, pour ne pas avoir à l'oublier par la suite. Il s’astreint alors à une routine de travail immuable, sans rapport avec ce qu’il doit photographier. Chaque matin, il part avec un film de douze poses, suffisant pour réaliser six images, deux photographies pour chaque. Il travaille dans un très petit secteur, se limitant à un simple quai ou à un pâté de maisons.
Quand il tire ses photographies cet hiver-là, il découvre quelque chose d'inattendu. Dans un entretien de 1963, il se souvient : « Pour le dire de façon un peu emphatique, ce fut pour moi, en quelque sorte […] une révélation. Je fis quelques images, et ces images me révélèrent une signification, une façon de faire une image […] dont je n'avais jamais rêvé auparavant. Eh bien, quand cela vous arrive, vous n'avez plus qu'à continuer ! […] Je n'ai jamais forcé la photographie, c'est la photographie, en un sens , qui m'a guidé. »
Siskind voit comment il peut définitivement basculer de la sphère descriptive à celle des idées abstraites. Il découvre dans ce qu'il fait, cadrer des objets organiques à l'intérieur de fortes compositions géométriques, le reflet d'une dualité fondamentale qu'il cherche à comprendre depuis longtemps. « Dans ces photos, vous avez l'objet, mais vous avez dans l'objet, ou superposé à lui, une chose que j'appellerais l’image », qui contient mon idée. Le tout présent en une seule et même fois. Il y a un conflit, une tension. L’objet est là et cependant ce n'est pas un objet. C'est quelque chose d'autre. Il y a une signification qui est en partie celle de l'objet mais qui est surtout celle que je lui donne. »
On a dit de la photographie qu'elle était le résultat inéluctable de la longue quête des arts visuels pour parvenir à la perspective tridimensionnelle, point singulier des deux dimensions d’une image plane. Non sans ironie, Siskind découvre que son évolution en tant qu'artiste exige qu'il renonce à cette caractéristique. Dans l’ « espace rigide et plat » de l'image plane, sans perspective, tel qu'il le décrit dans The Drama of Objects, il peut représenter son « besoin profond d'ordre » . Ici, les objets « ne peuvent se réfugier dans la profondeur de la perspective. Les quatre angles du [cadre] rectangulaire sont des limites absolues. Il n'y a que le théâtre des objets, et vous, en train de regarder. »
À partir de 1945, ses photographies n'ont plus de rapport avec son travail documentaire, se rapprochant davantage de la peinture que de la photographie. Intervenant dans le cours d'histoire de la photographie à Columbia College à Chicago en 1982, il se souvient que, « pendant longtemps [Garry] Winogrand circulait en disant : «  Siskind n'est pas un photographe, c'est autre chose » ». Avec un petit rire, il ajoute : « Il ne le fait plus. » Dans l'entretien filmé de 1985, considérant sa place dans l'histoire de la photographie, il affirme « Dans l'histoire de la photographie, [les années 1930 et 1940] sont une période où les gens insistaient sur la sociologie, la psychologie et ce genre de choses mais, avant, il y avait eu une période où les images étaient des métaphores, des symboles ». Il ne se voit pas lui-même comme révolutionnaire : « Tout simplement, j'ai apporté quelques éléments d'un passé d'avant-garde. »

Aaron Siskind, James Rhem ; traduction de l'anglais par Jean-Yves Cotté
Collection 55, Phaidon, 2003