Nek Na ?

12 Mars - 27 Avril 2016

Presentation

Nous avons le plaisir de présenter la première exposition personnelle en France de Sophal Neak, jeune artiste cambodgienne de 26 ans. Ce travail est un véritable coup de cœur que nous avons découvert l’année passée, au gré des Promenades Photographiques de Phnom Penh, initiées et soutenues par Christian Caujolle. Cette série de portraits, remarquablement composée, nous interroge sur l’identité khmère. Qui sommes-nous ? Comment vivre aujourd’hui, dans le maelström de la mondialisation dans un pays à l’économie fragile avec ce génocide, toujours omniprésent dans les mémoires ? En nous plongeant de manière radicale dans son univers, Sophal Neak nous fait partager les doutes et les tourments de sa génération. De manière frontale. Sans concession.

Dossier de presse

Communiqué de Presse

LES PORTRAITS QUI AVEUGLENT DE NEAK SOPHAL

Toutes et tous posent simplement, de face, immobiles, figés. Ils sont debout mais on ne voit jamais leurs pieds. Ils sont devenus d’énigmatiques statues dont les visages sont interdits, dissimulés par de grandes feuilles vertes ou par des objets du quotidien.

Dans Leaf, la série réalisée dans le village de Wat Po, dans la province de Takeo au sud de Phnom Penh d’où la photographe est originaire, des adolescents, de petits campagnards pauvres, qui pour la plupart n’ont pas pu poursuivre leurs études car l’école était trop éloignée de la rizière dans laquelle ils vivaient semblent en symbiose avec la nature. Ils s’inscrivent dans le paysage vert et l’horizon, bien délimité, laisse se détacher sur le bleu du ciel ces verts en camaïeu qui ont remplacé leurs visages. On pourrait y voir un éloge de la nature, une forme de panthéisme, d’affirmation de la nécessité de la relation vitale entre l’homme et la nature. Pour Neak Sophal ces « masques » prélevés aux bananiers, aux palmiers à sucre, aux lotus des étangs et à d’autres plantes familières sont d’abord une négation. Et manifestent son inquiétude. Ces jeunes, qui sont pourtant l’avenir du pays, doivent, parce que le gouvernement ne s’intéresse pas à eux, quitter leur région d’origine, partir vers la ville, parfois vers la Thaïlande ou des pays plus éloignés, se louer pour survivre et envoyer de l’argent à leurs familles. Ils sont des abandonnés. On ne les voit plus. Les Sonleuk - feuilles en cambodgien -, deviennent l’affirmation métaphorique d’une situation. La jeunesse est nécessaire au pays comme les feuilles sont indispensables à l’arbre. Elle est la vie, le futur de la vie. Dans un des pays les plus affectés par le changement climatique, en proie à la déforestation massive et confronté aux problèmes liés aux bouleversements qu’entrainent les trop nombreux barrages sur le Mékong ces protestations silencieuses s’affirment comme une prise de position. Qui, d’abord, interroge les graves déséquilibres en train de s’installer entre la campagne qui se vide – et où certains s’emparent illégalement des terres – et la ville qui croît démesurément et de façon anarchique. La photographe ajoute : La société ne laisse aucune place à ces jeunes, c’est pourquoi je dissimule leur visage. Ils ne peuvent pas voir clairement les enjeux et la société elle-même ne les voit plus, ne les regarde plus.

Pour Hang On, la série la plus récente, changement de décor. Nous sommes en ville, dans la capitale, à Phnom Penh. Ouvriers du bâtiment, marchands ambulants, bonze, étudiant, balayeuse, pêcheur, employés de bureau ou d’hôtel, petits métiers ou salariés posent de la même manière que les adolescents de la campagne. Ici les feuilles ont été remplacées par des objets qui signifient simplement l’emploi de chacun. Et la question est directe, explicite : quelle est notre identité aujourd’hui ? Se réduit-elle à notre emploi ? A notre statut social ? En rapprochant des types d’activité, la marchande de chapeaux traditionnels et celui qui vend des casquettes de type américain – vraisemblablement venues de Chine –, la dame qui propose des paniers en plastique qui côtoie celle qui vend encore des ustensiles en rotin, l’agriculteur qui récolte son riz et le camelot proposant des guirlandes de Noël, en les combinant aux travailleurs du bâtiment, Neak Sophal pointe les mutations de la ville, les changements des modes  de consommation et s’inquiète des effets dévastateurs de la mondialisation.  Elle le fait au moyen de dispositifs aussi simples que radicaux, efficaces, pertinents, limpides. Elle nous oblige à assumer la confrontation à la disparition des visages et elle entretient une subtile relation avec la tradition de la sculpture, essentielle dans la culture cambodgienne, qu’elle réactualise.

Neak Sophal fait partie de cette jeune génération d’artistes, la troisième, après les survivants du génocide et ceux, nés dans les années quatre-vingt, après Pol Pot. Elle n’ignore pas ce qu’a été l’histoire tragique de son pays (elle travaille d’ailleurs actuellement avec des images d’archive, cherche les solutions plastiques pour leur donner un sens). Mais elle se doit de parler d’aujourd’hui pour envisager demain.

Économe de moyens, soucieuse d’efficacité, elle opère par séries. Des ensembles sélectionnés sans aucune complaisance, avec une profonde exigence, après une lente maturation pour, comme elle le dit : juste montrer les problèmes que je perçois. Je réfléchis tout le temps à ces problèmes puis, un jour, je décide de la manière qui me semble la plus pertinente pour faire partager ces préoccupations.

En couleurs, de face, directement.

Christian Caujolle