Une fantastique passion

8 Octobre - 26 Novembre 2016

Presentation

Qu’est-ce qui rapproche ces deux femmes aux destins si différents ? Berenice Abbott cherchait la lumière, Vivian Maier se confinait dans l’ombre. L’une frappait inlassablement à toutes les portes pour mettre sur pied ses projets, l’autre arpentait le monde en solitaire. Au-delà de ces attitudes, une passion commune pour documenter le réel les unissait. Deux vies sans concession, où rien, ni personne ne pouvait entraver leurs projets Avec en héritage deux œuvres singulières où soufflent un grand vent de liberté.

Dossier de presse

Communiqué de Presse

Berenice Abbott, pas de falbalas

 

Berenice Abbott a posé nue pour son compatriote Man Ray, dont elle fut l’assistante, à Paris, et qui lui apprit l’art du portrait et de la chambre noire. Grâce à lui, elle rencontra Eugène Atget, l’un de ses voisins, rue Campagne-Première dans le quatorzième arrondissement. « Le choc du réalisme sans fioriture », dira-t-elle face à ses tirages, avant d’acheter, à sa mort, une partie de son œuvre, qu’elle revendra en 1968 au MoMA de New York après l’avoir célébrée toute sa vie (née en 1898 à Springfield, Ohio, elle meurt à 93 ans en 1991, à Monson, Maine).

S’il est impossible d’aborder Abbott sans citer Atget, c’est parce qu’il y a, de la part de cette jeune Américaine, plus qu’un attachement : un authentique engagement. Comme si Atget, capable selon elle « de voir le monde réel avec émerveillement et surprise », lui avait ouvert les yeux. Honorer sa mémoire, c’est aussi choisir une esthétique, la photographie documentaire, et non la veine pictorialiste, alors en vogue et qu’elle estime bornée.

Dès ses premiers portraits (bohême rive gauche, exilés américains), son style est efficace. Modèles assis, langage des mains, profils exquis. Aucun effet amidon, pas de fantaisie, de la gravité. Elle saisit plus que l’entièreté de ses sujets, leur surmoi. La plénitude sera au cœur de Changing New York, vaste projet entrepris entre 1935 et 1939, alors qu’elle a quitté la France pour les États-Unis. Le retour n’est pas si facile (crise de 29), mais New York, en pleine extension verticale, l’enthousiasme. Gratte-ciels, ponts, devantures des boutiques, cette ville « fantastique » s’accorde à son échelle humaine. Une représentation dénuée de nostalgie, il s’agit de montrer « le passé bousculant le présent ».

Ses photographies sont surprenantes, parfois fictionnelles, ainsi le hall de Pennsylvania Station, dont elle restitue la solennité, comme si la gare était un plateau de cinéma en attente de stars, et non de simples voyageurs. Changing New York aura du succès.

Plus tard, après avoir voyagé sur la côte Est, du Maine à la Floride (Route 1), elle sera engagée par le Massachusetts Institute of Technology, de 1958 à 1961. La science, c’est son dada, elle s’y intéresse depuis 1939. Hors contexte, ses vues hypnotiques révèlent les expériences invisibles, les champs magnétiques et ces planètes inconnues qui naissent, par exemple, des rebondissements d’une balle. Dialogue d’une technicienne éprise de physique avec une matière imperceptible.

« La vérité est difficile à trouver, il faut beaucoup de travail », confia cette joueuse de ping-pong au New York Times, le 17 février 1983. Un temps, elle s’était imaginée journaliste. Avec la photographie, Berenice Abbott imposa sa vision critique, riche d’une certaine austérité. C’est vrai, il n’y a pas de falbalas. Elle tient tête au réel, sans céder au vertige.

 

Brigitte Ollier

 

 

­­­Vivian Maier, une vie rêvée

L’apparition de Vivian Maier a bouleversé les dogmes du regard. Comme si, tout à coup, Nadar, notre gloire nationale, s’était révélé être une femme et qu’il avait fallu tout repenser avec ce sexe-là. C’est un peu exagéré, mais pas tant que ça. Car, au commencement, Vivian Maier n’avait rien d’original pour entrer dans l’histoire de la photographie, et encore moins pour y rester. Et pourtant, en un temps record, cette Américaine est devenue aussi célèbre que La Joconde. Elle est en haut de l’affiche, pour longtemps, et une foule de spécialistes se penchent sur son passé, espérant y découvrir matière à réflexion.

Vivian Maier est née le 1er février 1926 à New York et morte le 21 avril 2009 à Chicago (elle a connu les Hautes-Alpes, sa mère était française, elles sont venues en 1932 dans la vallée du Champsaur). Elle avait une passion dévorante, la photographie, exercée dans la plus grande discrétion. D’abord avec un Rolleiflex, puis un Leica, elle entreprit de photographier les rues de New York et de Chicago, les passants, les pauvres sur les trottoirs, les poupées dans les poubelles, les bigotes à bijoux, les Cendrillons d’après minuit… On lui doit aussi une série d’autoportraits d’une extrême intelligence ; à la limite de la hantise, ses jeux de miroir font parfois peur. Lorsqu’elle voyagea autour du monde, grâce à l’héritage de sa grand-tante, elle continua à photographier, sans pour autant montrer ce qu’elle avait vu. Voici l’un des points mystérieux de cette autodidacte - qui gagnait sa vie comme gouvernante d’enfants, son obstination à rester dans le noir. L’anonyme parfaite. Manque de moyens, de temps, de place ? Désir d’absence au monde ?

Lors d’une vente aux enchères, en 2007, à Chicago, John Maloof, l’un des principaux acquéreurs, a acheté pour 400 dollars des cartons et des valises ayant appartenu à miss Maier. À l’intérieur : entre 100 000 et 150 000 négatifs, plus de 3000 tirages, des centaines de bobines Ektachrome non développées. La quantité n’a jamais prouvé le talent, mais là, entre les biens acquis par Maloof, plus ceux de Jeffrey Goldstein et de Ron Slattery, il y a de quoi être ébahi.

Depuis 2007 jusqu’à aujourd’hui, la machine à inventer Vivian Maier s’est mise en route. Films, livres, expositions, la « Mary Poppins de la pellicule » a dû supporter bien des commentaires (mais pas forcément idiots, un gibier de choix excite l’imagination). L’une des expositions made in France, par le Jeu de Paume (2013), a montré que Vivian Maier - qui adorait le cinéma - réalisait aussi des films super-8, et qu’elle était une intervieweuse du tonnerre. Tout ce flou qui l’entoure n’est pas prêt de se dissiper. Certitude : ceux qui ont acheté des tirages ne pourront le regretter, cette femme d’une bravoure feutrée donne envie d’être à ses côtés. Dans son ombre, justement.

Brigitte Ollier